Sampo!

2 10 2010

Au début du 19e siècle, partout en Europe, commencent à fleurir les nationalismes. Les gros blocs politiques constitués se fissurent. Est-ce un contrecoup de la Révolution française, le prolongement des perturbations politiques apportées par les guerres napoléoniennes, une conséquence directe de l’esprit romantique naissant? Tout cela à la fois, sans doute… Les frères Grimm arpentent l’Allemagne pour récolter les contes populaires, trésor du peuple allemand, expression la plus pure, pour eux, de son génie propre. Hans Christian Andersen ne tardera pas à inventer les siens, à la fois universels et imprégnés d’esprit danois. Nimcová, Erben et Tille-Riha recueillent dans une démarche semblable les contes et légendes de Bohème et Elias Lönnrot écumera la Finlande et la Carélie Orientale, où l’on chantait encore les poèmes anciens, pour reconstituer le grand corpus du Kalevala. C’est par les traditions que débute ce travail de remise à l’honneur des esprits nationaux: les contes rendront leurs lettres de noblesse à la langue, et la démarche culminera par le renouveau d’une musique enracinée dans le pays d’origine, par laquelle des compositeurs comme Dvořák, Kodály, Grieg ou Sibelius propageront leur culture.

Mais revenons au Kalevala. Lönnrot en publie une première version en 1835, et une autre, plus aboutie, en 1849. Convaincu que les légendes qu’il avait collectées provenaient d’un tout cohérent, Lönnrot effectua, en plus de son travail de compilateur, une œuvre de créateur, puisqu’une partie du texte a été modifiée dans des proportions variables, voire, pour un pourcentage infime, inventée par ses soins, donnant naissance à un cycle de mythes autochtones en langue finnoise, qui en démontrait la force intrinsèque et l’ancienneté, dans un pays alors sous domination suédoise.

Après une introduction contant la création du monde à partir des fragments d’un œuf de canard recueilli par la déesse Ilmatar, flottant sur l’océan universel, le Kalevala s’articule autour de la vie et des aventures de Väinämöinen, fils d’Ilmatar, barde et donc magicien, puisque la magie découle de la parole. Pour résumer, disons que le cycle central est celui du Sampo, sur lequel se greffent des mythes secondaires, comme ceux de Lemminkäinen ou de Kullervo.

Le Sampo est le nom d’un objet magique et prodigieux, de nature mal connue. Pour certains exégètes, c’est l’arbre du monde. Selon Elias Lönnrot, c’est une sorte de moulin ornementé magique, qui produit sans trêve la richesse, déversant des flots de farine, de sel et d’or. Il n’est pas réellement décrit, bien que le texte fasse maintes fois allusion à son couvercle multicolore. Dans le Kalevala, Dame Louhi, maîtresse du pays nordique de Pohjola, femme d’une grande sagesse et d’un vaste savoir, demande à Väinämöinen qu’elle a recueilli après l’avoir trouvé échoué sur ses côtes, de créer un Sampo pour assurer la prospérité du pays. Mais le barde, malgré tout son talent, en est incapable. Il marchande avec Dame Louhi sa liberté, promettant d’envoyer à sa place le forgeron Ilmarinen, qui, lui, saura forger l’objet merveilleux.

Väinämöinen tient parole: de retour au Kalevala (« la terre des héros »), il expédie  Ilmarinen à Pohjola, par ruse. Là, le forgeron accomplit le prodige et rentre chez lui.

Mais Ilmarinen et Väinämöinen sont tous deux tombés amoureux de la superbe fille de Louhi, la Vierge de Pohjola. Ils décident de repartir pour le Nord afin de gagner sa main. Leur rivalité amicale s’achève par la victoire d’Ilmarinen, au terme de trois épreuves fixées par Dame Louhi: la capture de divers animaux prodigieux, et le labourage d’un champ grouillant de serpents.

Hélas, cet heureux mariage ne dure guère: au Kalevala, l’esclave Kullervo se venge des mauvais traitements qu’il subit en lâchant une troupe de bêtes féroces contre les habitants. La Beauté de Pohjola succombe à cet assaut. Ilmarinen, inconsolable, tente bien de façonner par sa magie une réplique en or de son épouse, mais en vain: en dépit de tout son art, la statue reste froide à ses baisers.

À ce malheur s’en ajoute un autre: la famine s’abat sur le Kalevala. Ilmarinen et Väinämöinen décident d’aller demander à Dame Louhi de leur prêter le Sampo pour subvenir aux besoins de leurs compatriotes. Mais la Maîtresse de Pohjola refuse tout net, et, les deux compères s’arrangent pour voler le Sampo. Leur navire est poursuivi par Louhi métamorphosée en aigle géant et, dans la bataille, le Sampo est détruit. Louhi récupère le couvercle aux mille couleurs, qui ne lui servira de rien, et les mille fragments de l’objet merveilleux, rejetés sur les côtes, féconderont la terre de Finlande et la rendront riche. Par vengeance, Louhi vole le soleil mais, encore une fois, Väinämöinen et Ilmarinen s’allient pour la tenir en échec et libérer l’astre du jour.

Riche en incidents merveilleux et en exploits prodigieux (pour aller courtiser la Vierge de Pohjola, Väinämöinen construit un bateau sans clou ni scie; mais pour l’achever, il lui manque des incantations, qu’il va chercher en de nombreux lieux, y compris Tuonela, le Pays de la Mort — dont il s’échappe bredouille — et le ventre d’un géant mort. Plus tard, allant prier Dame Louhi de partager le Sampo, Ilmarinen et Väinämöinen rencontrent une épave de navire qui se lamente: le vaisseau attend le héros qui le guidera vers sa destinée; les enchantements de Väinämöinen lui rendront son apparence initiale et l’armeront d’un équipage de cinquante jouvenceaux et cinquante jouvencelles. En route, Väinämöinen tue un brochet géant qui retenait le navire captif et, de sa mâchoire, crée le kantele, une sorte de harpe, instrument typiquement finlandais), le Kalevala est un magnifique cycle de mythes originaux (même si l’histoire de la mère de Lemminkäinen, allant récupérer le corps coupé en morceaux de son fils sur les berges du fleuve de la mort et rassemblant les morceaux pour lui rendre la vie, évoque étrangement la légende d’Isis et Osiris) qui a inspiré nombre d’artistes, dans la fièvre des mouvements d’indépendance. Les plus connus sont le compositeur, Jean Sibelius, qui l’a illustré par des œuvres symphoniques comme Kullervo, ou Le Cygne de Tuonela, et le peintre Akseli Gallen-Kallela, dont les peintures de Väinämöinen et Aino, d’Ilmarinen forgeant le Sampo, ou de la Défense du Sampo sont célèbres, et souvent reprises lorsqu’il s’agit de citer les mythes.

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Mais l’influence ne s’est pas cantonnée à la ferveur politique d’une époque, et l’on a continué d’adapter ces mythes. J’en parlerai dans la deuxième partie.

Le suspense est insoutenable. Quand? Bientôt.


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8 responses

3 10 2010
Jean-Paul Jennequin

La suite ! La suite ! The Blue Duck ! The Blue Duck !

3 10 2010
mantichore

Oui, mais pas que. Y a aussi le Lemminkäinen russe, le sino-finnois, une dérivation britannique, plein de chiens et un peu de musique. Mais là, j’attends un guerrier de jade. ^______________^

Et pour l’anecdote, vous avez posté, cher et peu disert ami, le 100e commentaire de ce blog. Je crois que ça mérite un gage (Des… cadeaux? Ça va pas, la tête? Estime-toi heureux que je ne t’inflige pas une amende!)

4 10 2010
artemus dadaquavit

Oui la suite, et tout de suite.

4 10 2010
mantichore

C’est insensé, cette impatience. En son temps, en son temps…

J’ai bien envie de glisser un article sur un autre sujet, entre les deux parties, tiens.

8 10 2010
Breccio

« J’ai bien envie de glisser un article sur un autre sujet, entre les deux parties, tiens. »
Moi, je trouve que tu devrais préserver sur ce blog tes mésaventures avec La Poste (cf « Maugrée voit rouge »). Avec des illustrations genre « heroic fantasy velue du quotidien » (cf Boulet).
JDB

8 10 2010
mantichore

C’est sûr que ça a été homérique, cette semaine. J’ai par principe de soutenir la Poste, qui doit accomplir son travail avec des effectifs en diminution constante, mais là, ma sympathie s’est considérablement émoussée, pour le coup.

8 10 2010
Breccio

Le truc, c’est d’espacer ses commandes et de cultiver le bon vouloir des livreurs à coups de pourboires.
Reçu aujourd’hui des DVD allemands jouissifs via amazon.de, livrés avec une alacrité pourboirophile par le facteur des colis ravis de se substituer à l’employé de Rives & Dicostanzo plombé par un amour excessif de la loi du marché. Moi, je m’en fous, car j’ai pu visionner I COMME ICARE en VF, en attendant les deux 3 MOUSQUETAIRES version Bernard Borderie (Gérard Barray ! Mylène Demongeot ! GEORGES DESCRIERES !!!… G-U-Y-D-E-L-O-R-M-E-!!!!!!!!!!!!!!…)
JDB

8 10 2010
mantichore

Oui, mais euh, non. Le problème semble être que les distributeurs de colis sont une engeance sous-traitée par la Poste, et le résultat est que, si je vois certaines têtes (dont certaines placées sur des corps extrêmement sympathiques et serviables) durant quelque temps, elles ne durent jamais. Et qu’il suffit qu’un joyeux débile prenne son tour au mauvais moment pour que la pourboirothérapie demeure sans effet. Ici, par exemple, j’ai affaire à un zigue qui m’a indiqué par un sticker que les colis m’attendaient à une poste, et puis il a galopé de toute la vaillance des pneus de sa Kangoo jusqu’à une autre, où il les a habilement déposés. Enfin, au moins un — l’autre, je ne sais pas où on l’a retrouvé.

Et je ne parle pas des centres de tri où des mains curieuses prélèvent leur dîme pour alléger l’ennui du travail…

Un poème…

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