Ali Baba et la Chambre des secrets

16 07 2011

Petit interlude dans mes travaux de rédaction. Fort du principe que se reposer, c’est changer de fatigue, j’ai plongé dans le chaos de ma chambre d’ami, terme resté en vigueur malgré la prolifération qui l’habite plus souvent que du monde de passage. Bravant les tours plus ou moins branlantes de bouquins, livres de poches et autres amoncellements de papelards divers, j’ai plongé et lancé une campagne d’excavation pour retrouver des ouvrages sur les Monty Python que je sais avoir (ici AFR clique sur J’aime sur FB), mais sans savoir où (ici, AFR clique sur Je n’aime plus).

Oui, c’est un problème.

Comme à chaque fois, c’est l’occasion de me remettre en contact avec ma mémoire ancestrale, de déplacer et d’épousseter des piles de fanzines, de magazines et de livres que les mouvements complexes de la tectonique des empilements ont retiré à ma vue et à ma connaissance depuis longtemps. J’ai ainsi renoué avec une quantité invraisemblable de fanzines: je ne pensais pas avoir dessiné autant de couvertures pour Yellow Submarine; j’ai exhumé de nombreux numéros du catalogue de la mythique librairie Ailleurs, certains portant des couvertures plus ou moins réussies issues de ma plume, entre autres un Peter Pan dont j’ai toujours été assez content et ma première illustration de Gareth, un panda de sword & sorcery (1984!); et j’ai déterré une pile de Manticora (ici, c’est Philippe Ward qui clique J’aime), mais surtout des trois derniers numéros, alors que je cherchais le 6 et le 8 (ici, Philippe Ward clique sur Je n’aime plus).

J’ai ramené à la lumière du jour des fanzines finnois, photocopiés et imprimés, une pile de photos de vacances aux États-Unis (que je vais inspecter de près, quand j’aurai le temps), une boîte de diapos pour une conférence sur les mangas, le n°1 de Warrior (avec Axel Pressbutton et V for Vendetta), quelques exemplaires de Comics Unlimited, le fanzine d’Alan Austin, avec plein de dessins de Jean-Daniel Brèque, de John Bolton et d’autres, des Mangazone et des Scarce, une lettre de Bill Mantlo, deux ou trois romans ou recueils dont j’ignorais totalement que je les possédais, deux exemplaires de mon mini-fanzine Dõbutsuen qui ont de fortes chances de se voir affichés un de ces quatre matins sur mon autre blog, des mauvaises photocopies de vieilles bandes dessinées, plus ou moins collées ensemble, et des numéros du Bulletin du SFFAAN (orthographe non contractuelle) où était paru Mulberry Bloom, première bédé longue dont j’ai atteint le terme. Et dont je n’ai jamais récupéré les originaux…

Et bien sûr, des Python, encore rien, alors que je suis certain qu’un rare petit opuscule d’étude sur eux doit se situer dans cette zone.

Bon, je me repose un peu de ma station debout prolongée, jambes écartées au-dessus d’une boîte en carton éventrée vomissant d’anciens numéros de Starfix et des Cahiers de la Bande Dessinée, et puis j’y repique.

Un jour, faut que je range sérieusement, là-dedans…





Trafic d’identités

29 01 2011

Une des plus habiles trouvailles de Howard Phillips Lovecraft consiste en un système de références internes, mélangeant fiction et détails authentiques, dont la répétition d’un texte à l’autre brouille les repères et induit un effet de réel et une familiarité qui semblent valider par contamination le reste de l’histoire. La fameuse bibliothèque de grimoires maudits dote le récit d’une assise, sinon solide, du moins troublante.

En fait, le résultat est tellement concluant qu’il s’est propagé plus loin que Lovecraft ne l’avait prévu, pour contaminer, au travers des textes, l’auteur lui-même. Si l’on se met à croire, même un tout petit peu, au Necronomicon, la tentation est grande d’attribuer à Lovecraft une érudition occulte, puis un statut d’initié à des réalités effroyables. En fiction, ce concept se solde souvent par une fausse bonne idée typique: «Je vais raconter la vie qu’aurait connue Lovecraft, si le Necronomicon, Cthulhu et Nyarlathotep existaient pour de bon!» Depuis quelque temps, les fictions autour de Lovecraft se multiplient et trop de scénaristes se ruent sur cette trouvaille paresseuse comme la misère sur le pauvre monde. Et nous valent une palanquée de «biographies» répétitives, où Lovecraft, Necronomicon sous le bras et lueur hallucinée dans les prunelles, lutte pour empêcher Cthulhu de débarquer à Providence à l’heure du dîner.

Aux marges de ce sous-sous-genre, recommandons au passage un excellent roman de Richard Lupoff, Marblehead, qui tisse une magnifique fiction à partir d’éléments plus réalistes, voire historiques, et avec un résultat autrement plus original.

Alors que paraît ce qui s’annonce pour un moment comme la biographie définitive de HPL, I am Providence par S.T. Joshi (la version intégrale de la biographie déjà parue il y a quelque quinze ans sous le titre Lovecraft: a life, rétablissant quinze mille mots de manuscrit amputés à l’époque, le tout remis à jour, sous forme de deux volumes assez ventrus), plusieurs bandes dessinées traînent la vie de Lovecraft dans la fiction, avec des résultats inégalement satisfaisants.

En voici trois exemples assez marquants.

Le Lovecraft de Hans Rodionoff, Enrique Breccia et Keith Giffen, sorti chez Vertigo en 2003, jouit d’un dessin nerveux, baroque et coloré, riche d’une belle ambiance onirique. Enfermé dans l’asile où il va mourir fou, le père du petit Lovecraft veut que ce dernier lise un ouvrage qu’il a compilé, chargé de redoutables connaissances occultes. Hanté par des rêves tentateurs, harcelé par des créatures effroyables, prisonnier de ce secret qu’il doit tenir à l’écart du monde, l’enfant grandira et vivra en marge de l’humanité.

En fait, le scénario est l’adaptation en bédé par Keith Giffen d’un script pour le cinéma de Rodionoff. Que dire, sinon que le scénariste enfile les clichés avec une belle santé, à défaut de beaucoup de cohérence? On nous montre ainsi le petit Lovecraft à cinq ans habillé avec une robe et portant de longs cheveux. «Je suis une petite fille», affirme le mouflet. Détail biographique exact, en effet, mais dont on ne voit pas trop la pertinence ici. Est-ce pour nous montrer que la mère de Lovecraft est déjà bien barrée, la pôvre? Que Lovecraft va être durablement traumatisé par cette enfance anormale? C’est oublier un peu vite qu’à l’époque les enfants portaient couramment ce genre de tenue et les cheveux longs, indépendamment de leur sexe, jusqu’à un certain âge — sans doute une volonté de leur conférer un certain air angélique. Mais on ne voit pas bien, même avec la meilleure volonté freudienne, en quoi le fait d’être traité en poupée par sa maman aurait pu susciter chez Howard des fantasmes de monstres verruqueux et tentaculaires dans sa vie ultérieure. Surtout qu’on va nous montrer qu’il voudrait bien vivre normalement, le malheureux, mais que c’est les monstres qui font rien qu’à l’embêter.

Bref, ce détail figure ici uniquement pour son côté pittoresque. Folklore gratuit.

La chronologie des faits est sérieusement chamboulée: nous voyons Edwin Baird, rédacteur en chef de Weird Tales, rejeter «L’appel de Cthulhu» que lui soumet Lovecraft, mais lui suggérer aussitôt une collaboration plus lucrative avec Houdini (apparemment, HPL écrit des histoires trop bizarres pour Weird Tales, ce qui est un concept assez cocasse). Rappelons que cette collaboration avec le roi de l’évasion eut bien lieu, donnant la nouvelle «Prisonnier des Pharaons», qui date de 1924 alors que HPL écrit «Cthulhu» à son retour à Providence, en 1926, après l’échec de son mariage avec Sonia Greene… que Lovecraft rencontre ici en sortant du spectacle d’Houdini (une rencontre où Lovecraft est l’initié qui connaît l’invisible, face à Houdini, sot défenseur d’un matérialisme buté). Précisons que c’est à Farnsworth Wright, le successeur de Baird, que Lovecraft a dans la réalité soumis «Cthulhu», qu’il refusera dans un premier temps. Bref, une inextricable salade. Lorsque le cinéaste John Carpenter pontifie dans sa préface que tous les incidents décrits dans l’histoire sont absolument authentiques et que seules les motivations ont été romancées, il minimise sacrément les sévices infligés à la vérité historique.

Tout cela s’excuserait si le résultat était original: mais le principe de base de l’histoire est d’une grande banalité et ne débouche  sur rien de très nouveau.  Lovecraft voudrait connaître une vie tranquille, mais de vilains monstres suintent sans arrêt de l’autre réalité, charriant tous les noms et les personnages pour lesquels il sera connu. En plus d’être harcelé par un zoo invisible, HPL n’avait donc pas une once d’imagination: il se bornait à retranscrire sa vie quotidienne pour purger sa tête de toutes ces saletés. En effet, c’est tout de suite plus intéressant… Ce point forme d’ailleurs l’aspect le plus irritant des théories de l’initiation de Lovecraft à des connaissances occultes: elles le ravalent au rang de simple retranscripteur, lui déniant à des degrés variables un talent de créateur original.

Et quand notre scénariste s’aventure hors de sa macédoine de biographie, il écrit des scènes mille fois vues dans les téléfilms américains, comme celle où le jeune Lovecraft est harcelé par une bande de vilains chenapans qui mettent sa sexualité en doute et périssent horriblement démembrés par les créatures méphitiques qui hantent Lovecraft. L’équivalent hollywoodien de la classique scène de revanche proustienne.

Même au niveau d’une hypothétique représentation métaphorique de la vie de Lovecraft, on barbote dans les clichés de l’individu hagard et halluciné qui ne réussit jamais à se purger de ses horreurs et de la crainte sourde d’une hérédité chargée d’une contamination obscure. Muré dans la misère et la solitude par son savoir terrible, il est condamné à tenter un vague exorcisme par la fiction, simple retranscription de l’indicible réalité qu’il est seul à connaître. Bref, la vie de Lovecraft est dépeinte à grands coups de clichés approximatifs. Les dessins, en revanche, sont vraiment superbes, exécutés avec verve et grotesque par la plume douée de Breccia.

Sans doute handicapé par un scénario oubliable, l’album est sorti en français dans un silence indifférent.

*

En 2009, The Strange Adventures of H.P. Lovecraft de Mac Carter (scénario) et Tony Salmons (dessins) attaque très fort: la première couverture de la parution en fascicules promet d’emblée une version extrêmement désinvolte des aventures de l’écrivain. Howard, en bras de chemise, une belle coupe de cheveux sportive ornée d’une seyante mèche blanche façon Diaghilev, pianote de tous ses doigts déliés sur le clavier d’une machine à écrire d’où sourdent des monstruosités tentaculaires. Quand on sait que plusieurs textes de Lovecraft, dont L’affaire Charles Dexter Ward, n’ont jamais été soumis à un éditeur, tant l’idée de les mettre au propre à la machine à écrire révulsait l’écrivain, l’image ne manque pas de sel.

Et ne parlons même pas du revolver posé sur la table, à côté des balles.

L’intérieur ne se gêne pas davantage. Lovecraft est un beau jeune homme solide, sportif et dynamique, qu’on imaginerait plutôt reporter dans un grand journal. Vivant chez ses deux adorables tantines, il est amoureux d’une charmante jeune femme, mais celle-ci est courtisée par un autre. Une nuit, Lovecraft s’effondre et, au matin, on retrouve son rival déchiqueté d’horrible façon. HPL comprend vite que, lorsqu’il s’endort, d’effroyables entités émergent de son subconscient pour semer la terreur à Providence; le sommeil de sa raison engendre des monstres, comme aurait diagnostiqué Goyá. Avant longtemps, HPL est recherché par la police et doit prouver son innocence, au long d’une enquête menée tambour battant.

C’est peu dire qu’on navigue dans une version farfelue de la vie de Lovecraft; à vrai dire, on est tout surpris au détour d’une page, de tomber parfois sur des éléments de biographie authentiques! Pour le reste, on suit une intrigue amusante, pas débordante d’originalité, mais rondement menée. Toute ressemblance avec HPL est secondaire, voire fortuite, et la vie de l’auteur sert de tremplin initial, vite abandonné. Il y a peut-être même du second degré, bien que distillé en quantités extrêmement parcimonieuses. Nous sommes ici dans une inspiration purement pulps, déjantée quoique classique, qui a pour but de raconter une histoire mouvementée peuplée de créatures monstrueuses et de personnages archétypaux: Lovecraft est le vaillant héros; Farnsworth Wright, un éditeur froid et retors, ce qui contraste un peu avec le vrai Farnsworth Wright, célèbre pour son perpétuel tremblement qui en faisait le rédacteur en chef idéal d’une revue d’horreur! Les flics, corrompus et bovins, font fausse route dès le départ et traquent l’innocent… L’aventure s’achève sur le débarquement au Caire, où Indiana Lovecraft va mener une enquête sur ce damné Necronomicon et ce mystérieux rascal d’Abdul Alhazred qui l’a écrit. Il n’avale pas une rasade de whisky en enfonçant son chapeau sur sa tête d’un coup de poing, mais l’intention est là.

L’histoire distrait, dans les limites choisies du récit d’action horrifique. Signalons que les dessins intérieurs sont nettement plus relâchés que les couvertures, et que l’on sent la précipitation monter au fur et à mesure des épisodes, ce qui gâche un peu le plaisir.

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Howard Lovecraft and the Frozen Kingdom, sorti en 2009 également, est sans doute le traitement de Lovecraft qui se tire le mieux de l’exercice, parce que c’est celui qui emploie le plus ouvertement l’humour: en mettant carrément en scène un Howard moutard de cinq ans plongé dans les vastitudes neigeuses de Leng et aidé par une entité tentaculaire dont l’aspect ne nous est pas totalement inconnu, Brown et Podesta court-circuitent le principe de la biographie, et font dérailler l’intrigue vers un genre de grande aventure de Calvin & Hobbes nappé de sauce HPL.

Et c’est plutôt réussi. Ce très jeune HPL — passablement canaille, de surcroît, comme les gamins de cinq ans peuvent l’être — vit ses aventures dans un contexte assez macabre et inquiétant qui colore la comédie farfelue d’une nuance originale. Les origines de Cthulhu ont même un léger ton de tragédie. Bref, c’est une distraction assumée comme telle et tout à fait agréable.

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Avant de faire vivre à HPL des aventures qui louchent plus vers Dashiell Hammett ou Raymond Chandler que vers sa vie propre, l’éditeur Dark Horse avait soumis un autre auteur de bizarreries au même traitement de choc. Cette fois, il s’agissait de Charles Hoy Fort, auteur de Lo!, du Livre des Damnés et autres compilations de faits-divers inexplicables glanés dans la presse de son temps. Changé en aventurier du bizarre de la Belle Époque, armé d’un fusil de chasse et assisté par un médecin extra-terrestre, il traquait dans les égouts des créatures dotées de tentacules griffus.

Assez pince-sans-rire (voir la première page ci-dessus), l’histoire, parue en 2002, est rigolote mais maigrelette. Physiquement, Charles Fort ressemble beaucoup à Theodore Roosevelt, ce qui devient un peu gênant quand l’intrigue veut que leurs chemins se croisent. Notre héros enfonce virilement les portes à coups de pied et, secondé par un médecin amiboïde et un gamin des rues nommé H.P. Lovecraft (à New York en 1899? Tiens, tiens…), flingue avec une belle santé les monstres venus d’ailleurs, dans une intrigue qui tient tantôt des Men in Black, tantôt de proto-X-Files — ce qui se tient, Fort étant un peu l’aïeul de Mulder. Les dessins de Frazer Irving, dans un noir et blanc riche en hachures pour un bel effet de gravure sur bois, sont très esthétiques, mais les jeux de clair-obscur ne masquent pas toujours des soucis de perspective et d’anatomie.

Le scénario de Lenkov, mouvementé, n’est pas d’une lisibilité irréprochable (il faudra pratiquement attendre la fin pour avoir confirmation que la jeune femme qui aide Fort n’est pas son épouse, mais une assistante travaillant dans la même bibliothèque que notre héros. Et l’intrigue s’achève grâce à un coup de chance assez scandaleux). Toutefois, Charles Fort, dont l’œuvre a eu son heure de gloire au cours des années soixante-dix, semble être retombé dans l’obscurité, et l’originalité de la démarche mérite qu’on la signale. Le second degré sarcastique du ton aide beaucoup à faire passer le grand n’importe quoi des péripéties. On aurait quand même pu éviter de montrer Fort, à l’aube du 1er janvier 1900, en train de saluer un «XXe siècle naissant», mais ce genre de bourde est hélas communément répandu.

Une suggestion, pour conclure: faire vivre à un auteur des aventures qui préfigurent ses œuvres est un cliché qui devient de plus en plus couru et de plus en plus délicat à exécuter proprement. Il est grand temps de trouver une meilleure «bonne idée».

Conseil de lecteur.





Sampo! (2)

15 11 2010

Or donc, avant quelques digressions, nous parlions du Kalevala, recueil de poèmes compilé par Elias Lönnrot, et du Sampo, cet instrument merveilleux, œuvre du forgeron Ilmarinen, qui moulinait la prospérité par magie et crachait un flot ininterrompu de grain, de sel et d’or. Les mythes inspirent souvent l’art. Mais le Kalevala narre une mythologie somme toute assez locale, longtemps restée circonscrite à la Finlande au sens large. À partir de 1849, la publication des textes par Lönnrot offre désormais au mythe une base de propagation.

Nous avons vu combien ce poème avait inspiré en particulier Akseli Gallen-Kallela. En illustrant les figures principales, les scènes marquantes, ce peintre grand voyageur (il a fait des séjours à Paris, il visitera l’Afrique) apporte à l’œuvre une assise visuelle forte, au caractère finlandais marqué, inscrit dans le mouvement d’indépendance qui agite le pays en ce début de XXe siècle. Certaines de ses toiles, fresques ou illustrations sont devenues iconiques. «La Défense du Sampo», moment où Louhi, la sorcière de Pohjola, métamorphosée en oiseau géant, attaque le vaisseau de Väinämöinen ramenant le moulin magique vers le Kalevala, est une image qui a dépassé le seul cadre de la Finlande.

Cependant, les représentations extérieures restent rares, et accompagnent en général les diverses éditions du poème En 1912, aux USA, un superviseur des écoles de l’Indiana, James Baldwin (aucun rapport avec l’autre), parmi plusieurs volumes de mythes destinés aux jeunes gens, rédige un The Sampo, dont il avertit en préface qu’il est réarrangé en un tout cohérent, que Baldwin s’est débarrassé de la forme originelle («d’éternelles cadences monotones», trop sympa…) et qu’il a ajouté çà et là des détails de son cru. L’ouvrage est illustré de peintures de N.C. Wyeth, apparemment peu nombreuses et très mal reproduites en noir et blanc dans l’édition brochée que j’en possède, hélas. Heureusement, j’ai déniché sur le Net une reproduction plus satisfaisante du «Magician and the Maid of Beauty», placée un peu plus haut, illustrant la première rencontre entre Väinämöinen et la Vierge de Pohjola.

La célèbre collection des Contes et légendes de chez Nathan consacrera en 1947 un volume à la Finlande, qui s’avère malheureusement difficile à trouver (ou cher, ce qui aboutit au même résultat pratique). Il semblerait que le volume compilé par Lucie Thomas ne se cantonne pas exclusivement à des légendes tirées du Kalevala, mais intègre aussi divers poèmes tirés d’autres sources, comme «Maamme», celui qui forme les paroles de l’hymne national finlandais.

Il existe également diverses traductions du poème de Lönnrot, mais la plupart sont des ouvrages à visées plus linguistiques qui, lorsqu’ils ne se bornent pas à reprendre une peinture de Gallen-Kallela en couverture, optent pour une sobriété de littérature dite sérieuse — ou, du moins, universitaire. Toutefois, une traduction étasunienne par Eino Friberg s’illustre assez richement par des images de Bjorn Landstrom (édition que je ne possède pas, hélas; on ne peut pas tout avoir).

Si la littérature est finalement assez chiche de représentations (même la fantasy, grande dévoreuse de mythes à recycler, ne s’est guère aventuré dans ce domaine), si le cinéma ne brille guère par une profusion plus grande (nous en reparlerons dans la troisième partie — oui, il y aura une troisième partie, ça commençait comme une notule, ça tourne au roman-fleuve), on peut se tourner vers la bande dessinée qui, tout comme la fantasy, est souvent friande de mythes à illustrer, détourner ou métamorphoser.

Mais là encore, il faut le reconnaître, la moisson est assez chiche. Pour l’essentiel, elle se cantonne à des productions finlandaises, ce qui est logique — qui est mieux placé? — mais confirme la particularité géographique du mythe.

Pourtant, nous traiterons d’abord d’une curiosité conçue à l’étranger, parce qu’elle se résume à peu de choses, hélas: Après son Amant de Lady Chatterley et son Casanova, Hunt Emerson avait envisagé de dessiner une adaptation parodique du Kalevala. L’idée lui en était venue après plusieurs visites dans le cadre du très sympathique Festival de la Bande dessinée de Kemi (trente ans l’an prochain!), sans doute soufflée par quelques-uns des participants. L’idée lui sembla bonne et il se lança dans une adaptation,  dessinant des premières versions des protagonistes, les rebaptisant pour leur donner des noms plus aisés à prononcer à l’international — Lemminkaïnen devient Lover-Boy, par exemple. De façon regrettable, Hunt a dû abandonner le projet au bout de neuf pages seulement, faute d’avoir trouvé un éditeur pour le financer. Dommage. Actuellement, il est à l’œuvre sur La Divine Comédie de Dante, une œuvre sans doute plus universellement connue.

Se moquer d’un mythe local n’avait pas de quoi choquer les Finlandais: ils se sont eux-mêmes livrés à l’exercice, tout particulièrement dans un assez rigolo Koirien Kalevala, le «Kalevala des Chiens», un ouvrage copieusement illustré par Mauri Kunnas. Comme son titre l’indique, le récit révise la saga du Sampo à l’aune de valeureux héros canins qui affrontent les épreuves et la terrible et rébarbative sorcière Louhi, pillant au passage les plus fameuses illustrations de Gallen-Kallela pour les faire basculer dans des pagailles roboratives (à ce titre, les noces d’Ilmarinen et de la rougissante Vierge de Pohjola ont un petit quelque chose de Dubout). Une version assez épatante de toute l’affaire, où le Sampo représenté, forcément, suit le modèle créé par Gallen.

Il existe également une adaptation finlandaise du Kalevala, plus récente, disponible également dans une traduction anglaise. Des quelques illustrations qu’on en voit, il semble que ce soit une version traitée dans un style assez réaliste. Je ne vous en dirai pas plus, faute, encore une fois, de l’avoir lu.

Mais, finalement, la version la plus connue, la plus largement publiée (à l’échelle mondiale, en fait), est sans conteste celle qu’en a tirée Don Rosa, dans sa Quête du Kalevala (Sammon salaisuus en finnois!). Invité à une convention de bande dessinée en Finlande —  pays où Donald Duck est un personnage extrêmement populaire, Carl Barks est une idole, de même que Don Rosa —, il a l’idée d’expédier Picsou et ses neveux en Finlande sur la piste des fragments du Sampo, localisés par une demi-page arrachée au manuscrit original de Lönnrot.

Solidement documenté sur les décors locaux (et notamment pour une scène délirante où un monstre marin est dépêché par Louhi pour semer la panique dans Helsinki — il brise une des lampes des géants de la belle gare construite par Saarinen, le sauvage!), Rosa couvre assez bien les grandes phases de la Quête du Sampo, envoyant les canards jusqu’à Tuonela, le pays de la Mort, pour réveiller Louhi. Les personnages du récit d’origine cèdent en partie la place à leurs équivalents dans la riche galerie des personnages de Donaldville: Géo Trouvetou vient suppléer à la carence d’Ilmarinen, et Louhi, quand elle ne peut exercer ses méfaits, invoque sa collègue Miss Tick afin de s’en occuper pour elle.

L’histoire fut publiée en exclusivité en Finlande (avec une page supplémentaire exclusive, un gag final où Tuoni revient voir Picsou) et ensuite diffusée dans tous les pays où paraissent les comics Disney, ce qui représente un joli public. C’est sans doute à ce jour le plus grand succès qu’ait rencontré une version du Kalevala en bande dessinée.

En guise de coda, signalons une curiosité, la parution récente d’un album de bédé sur la vie d’Elias Lönnrot avant qu’il ne compose le Kalevala. Signé Ville Ranta, le récit de L’Exilé du Kalevala traite moins de la rédaction de son œuvre littéraire, voire de sa collecte, que de sa vie de médecin exilé au plus profond d’une campagne retirée de Finlande. Une œuvre de démythification du personnage du forgeur de mythe, en quelque sorte.

La prochaine fois, on conclura ce petit bavardage bien loin d’être exhaustif par quelques apparitions du Sampo au cinéma. Ce ne sera pas abondant, mais ce devrait quand même être assez curieux.





Mise en jambes

17 09 2010

Nottingham est assez mal desservie: certes, deux magasins complémentaires pour les comics, un Forbidden Planet pour les comics des gros éditeurs et l’excellent Page 45, sur Queen Street, pour les bédés plus indépendantes et plus exigeantes (tiens, le nouveau recueil de Moomin est paru chez Drawn & Quaterly), mais du côté des magasins de DVD, ça sent gravement la dématérialisation des supports (rien de ce que je cherchais n’était là, je vais être obligé de me tourner vers l’Amazone à mon retour), et je n’ai pas trouvé de librairie décente. Des WH Smith, un ou deux, soit des sortes de Relais hachette locaux, un coin un peu misérable dans un FOPP, mais de Waterstones ou équivalents, que nib. Ou alors bien cachés.

C’est autant d’économisé, je suppose, encore que j’espérais un peu tomber par miracle sur le Modesty Blaise qui manque à ma collection. J’ai aussi découvert avec une certaine stupeur que le Pape profitait de sa visite au Royaume-Uni pour mettre en garde — selon la une du Guardian — contre l’intégrisme athée. Je ne sais pas de quoi périra Ben Sixteen, mais je soupçonne que ce ne sera probablement pas d’un manque d’air.

FantasyCon a commencé: ouverture de l’enregistrement à 16h, avec un goodie bag contenant trois livres, dont deux de pas inintéressants et aucun deuxième volume d’une trilogie, ce qui est un bon résultat. Malheureusement, sur les deux intéressants, j’en possède déjà un; personne n’est parfait.

Premier débat à 18h: la première phrase qui accroche, est-ce une nécessité? Après un copieux smorgasbrod chinois — oui, j’ai bien conscience du clash culturel: un buffet à volonté dans un restaurant chinois, si vous préférez — le Quizz de David Howe. la table où j’étais s’est fort honorablement classée (deuxième sur quatre), mais on aurait mieux fait si, comme une andouille, je n’avais pas négligé deux réponses que je connaissais mais dont je n’étais pas certain: on ne pouvait pas perdre de points sur une réponse fausse, et ces réponses finalement exactes nous auraient fait passer de deuxièmes avec 42 points à premiers avec 44. Comment ça, je m’excite sur des détails sans importance?

Ce soir, interview d’un des invités d’honneur, Gary Kilworth, et débat sur l’emploi de l’horreur pour traiter de problèmes du monde réel.

C’est un premier jour, ça commence calmement. Bon, là, je vous quitte, je me rends au débat sur la réalité traitée par l’horreur, d’un pas allègre mais digne. Bonne nuit!





Tebeos: ¡Las divertidas aventuras de un hombre del siglo XXI!

30 06 2010

En un temps si lointain que les gens d’aujourd’hui en parlent dans un chuchotement respectueux, comme il convient aux temps de la fable, l’été, c’était l’occasion dans les kiosques et chez les marchands de journaux français de faire venir un surplus de publications étrangères, afin de donner de la lecture aux ressortissants d’autres pays en villégiature chez nous. Et, pour les petiots, on rajoutait une louche de bandes dessinées, et l’on pouvait ainsi découvrir ici un Topolino, là un Fix und Foxi. Il fut même une époque, si oubliée que les plus jeunes s’émerveillent que l’univers ait pu contenir tant de temps en son sein, où on trouvait aux éventaires des comics de chez Marvel.

Cette époque semble bien révolue. Certes, on fait toujours venir de la presse quotidienne (la presse française, outre le fait qu’elle est écrite en français, s’intéressant fort peu à ce qui se passe par-delà les frontières, pour se concentrer sur les choses qui comptent, comme les dernières pantalonnades de notre équipe de foot, les étrangers, s’ils désirent connaître les fadaises de chez eux, ne peuvent compter que sur leurs propres journalistes) et la presse pipole (parce que nous n’avons pas les mêmes qu’eux et que les non entités qui tiennent le public de Voici captivé laissent de marbre les gens d’outre-frontière qui s’intéressent à des produits tout aussi cantonnés à leur terroir).

Mais les bambins ont d’autres soucis que les bédés, et ne justifient plus l’import de productions étrangères.

Bref, pour lire de la bédé d’ailleurs, il faut donc profiter des voyages, qui sont conçus de toute façon pour former la jeunesse — tout se tient.

D’un très court séjour à Barcelone, j’ai donc ramené une poignée d’albums de dates diverses, de styles variés et de qualité infiniment subjective, car choisis au feeling.

Tout d’abord, un bouquin qui n’est pas tout neuf, Manuel no está solo, une intégrale — semble-t-il — des rares bédés de Rodrigo, qui a signé dans les années 80 un long album (Manuel) qui déployait une histoire d’amour impossible (?) sur le décor splendide de la Madrid gay, et une poignée d’historiettes (dont une de deux cases sur deux pages), où des personnages se promènent dans des décors minutieux, laissant au mouvement le soin de fournir la narration.

Album plus récent par sa publication, à défaut de par son contenu, Las Aventuras de Gustavo réunit les exploits du personnage récurrent de Max, le dessinateur catalan, connu pour son magnifique graphisme épuré.

Né avec les années 70, Gustavo évolue avec la maîtrise de Max, démarrant dans des histoires très marquées par l’underground des années 1970 et 1980, tant par le dessin que par les sujets, même si les centrales atomiques et la répression policière croisent invasions extra-terrestres et savants fous. Le tout constitue un épais volume cartonné paru chez la Cúpula au mois de mars dernier.

Pas très récent non plus, apparemment, Total Hero, un recueil de gags signé par Pèrez Navarro et Sempere,  autour d’un gamin totalement immergé dans ses comics, ses jeux vidéo et autres obsessions de geek. Le dessin est séduisant, un genre de croisement entre Janry et Vatine. Les gags sont d’un humour très classique, mais somme toute plaisant. L’album, cependant, semble remonter aux débuts de la décennie, ce qui, comme il était annoncé comme le premier de la série (Un hèroe en casa), laisse penser qu’elle n’a guère rencontré le succès, puisque je n’ai trouvé que ce volume, soldé à la librairie Universal de Barcelone.

Plus chanceux, mais il faut l’avouer, plus rigolo aussi, Carlitos Fax ¡Las divertidas aventuras de un robot del siglo XXXI, d’Albert Monteys nous dépeint, comme le titre l’indique, les démêlés d’un robot qui tient au trente-et-unième siècle le rôle de fax au journal la Voz de Andrómeda, mais rêve d’être un vrai journaliste, à la place de ce bellâtre de Flash Norton (une sorte de Tintin qui serait incarné par William Shatner), l’enquêteur star du journal, connu et adoré de toute la galaxie. Aidé de son robot caméra, Anibal, Carlitos traque toutes les occasions de piquer la vedette à Flash (n’hésitant pas à bloquer sa porte avec un balai coincé sous la poignée ou à lui offrir des places à un concours de beautés nues) et de rapporter le scoop qui fera la une, qu’il s’agisse de l’invasion annuelle de ces couillons de Marsiens, de l’envahissante mode du clonage récréatif, du dernier concert de Charlie Sampler ou de la découverte de l’ultime planète inconnue de la galaxie. Une qu’il décroche souvent, pas toujours pour les meilleures raisons, et chaque courte aventure (trois pages) se conclut sur une vision de la manchette du journal et une case de chute cocasse.

Souvent désopilante par ses dialogues et ses situations, cette nouvelle série d’un des créateurs du dingue Mondo Lirondo — revue animalière totalement déjantée — est une grande réussite. Il semble qu’elle paraisse assez régulièrement dans les pages de la revue de bédé Mister K.

Signalons pour être complet un album cartonné qui fait très Delcourt, pour un œil français, une histoire de steampunk orienté vers la fantasy, Las incredibles aventuras del Duque Dementira. Le Duc Dementira en question est un hardi robot auquel le Grand Mécanologue impérial dérobe par ruse sa source d’énergie perpétuelle, dans ce monde où l’énergie s’obtient par distillation de magie, ce qui la rend rare et précieuse. Pour la récupérer, le duc s’associe avec une ancienne victime du Mécanologue, le voleur Micifú. Rien de très révolutionnaire, mais un récit agréable et pas mal mené.

Enfin, je me suis acheté les deux premiers volumes de Visiones, par Hernán Rodriguez, un jeune auteur ibérique qui adapte les œuvres de H.P. Lovecraft. Si le dessin porte encore ses influences de façon assez visible (en particulier Druillet, sous une forme quelque peu diluée), l’adaptation suit des voies intéressantes: Rodriguez ose raconter « Je suis d’ailleurs » en mettant en scène le narrateur de bout en bout, et pas de façon subjective, un choix pas si évident; il fait du locataire de la chambre voisine de celle d’Erich Zann une femme. Rien de sensationnel, mais des idées originales et pertinentes qui montrent un esprit habile et imaginatif.

J’ai chopé quelques revues plus anecdotiques, un recueil de gags de bureau signé Miguel Angel Martín, qu’on a pourtant connu pour des séries carrément plus sulfureuses; ou deux numéros d’une traduction espagnole de Martin Mystère, qui semble n’avoir pas tenu tellement plus longtemps ici que chez nous.

Pour être complet, citons le numéro 6 d’une petite revue de bédé baptisée Cthulhu et consacrée à des histoires courtes sur des thèmes lovecraftiens. Ce numéro-ci était consacré au versant lovecraftien de l’œuvre de Robert Howard — probablement pour coller à la sortie au cinéma de Solomon Kane.

Et pour finir, une jolie plaquette (signée) de Daniel Torres, BCN-NYC, où se répondent des aquarelles des paysages urbains de Barcelone et de New York. Des évocations, des échos, des reflets dialoguent entre les œuvres. Très beau.

Bref, malgré un court séjour, assez de papier imprimé pour charger mes valises de retour et me donner de quoi perfectionner par la pratique mon espagnol rudimentaire. Je vous le disais: l’éducation se fait par le voyage.





Le roi Patrick d’Angoulême revient/ Portant ses bédés dans ses mains

1 02 2010

Hé bien, voilà! C’était vraiment pas la peine de faire toute cette comédie avant.

Ça s’est bien — quoique froidement — passé. Un peu plus de 48 heures de séjour à Angoulême. Il m’a semblé que la cohue était moindre que les années où j’y allais (six ans de hiatus, d’après mes calculs), mais le réseau portable semble avoir été saturé durant tout le festival, poussant même les organisateurs à conseiller aux gens de se donner rendez-vous de vive voix en des lieux précis, autant que possible, de façon à moins recourir aux portables. J’ai essayé les trois jours d’envoyer un texto qui n’est jamais parti…

J’ai vu quelques expos, dont la meilleure était Cent pour Cent, au tout nouveau Musée, de l’autre côté de la Charente, spacieux et douillet, avec des divans vastes et profonds pour s’asseoir et lire quelques albums mis à disposition. Des planches par Foster, Sterrett, Greg, Kirby (tiens, pas de Ditko, j’y pense) ou Franquin, des répliques (il s’agissait pour des dessinateurs actuels de « répondre » , de « réinterpréter » ou de « réagir » à une planche classique du fonds du Musée) par Frank Pé, Goossens (un désopilant prolongement à une scène classique du Sceptre d’Ottokar). Vu aussi les expos Blutch, Fabio, Dessin d’humour, Martin Vaughn-James, et, au Musée, la collection permanente.

Vu pas mal de monde, attendu et inattendu (notamment Étienne Barillier, l’auteur des Nombreuses Vies de Fantômas chez les moutons électriques, ou David Boller, dessinateur suisse parti dix-sept ans gagner sa vie aux USA, chez Caliber ou Marvel, entre autres. Vu aussi des Finnois, dont Ilpo Koskela, devenu le nouveau directeur du festival de Kemi, qui m’ont suggéré que, si l’absence de neige expliquait mon manque d’envie de visiter le festival de Kemi maintenant qu’il se déroule en mai, peut-être que la présence du soleil de minuit compenserait l’absence de neige. J’avoue que l’argument a du poids.

J’ai un peu causé à la table ronde Les gays dans les comix…en fait, j’en ai moins dit que je n’en avais l’intention, mais Jean-Paul Jennequin me paiera ça un jour.

J’ai bavé pendant deux jours devant des planches originales en vente à un prix assez élevé mais plutôt raisonnable (deux mille euros pour une planche du Spirit de 1949) avant de céder à la tentation et de m’offrir par surprise un petit strip du Johnny Hazard de Frank Robbins. Il y avait aussi du joli Greg, mais là encore, un peu trop cher pour qu’il soit bien raisonnable que je me laisse aller.

J’étais logé à vingt minutes à pied du Musée, mais je me suis perdu plusieurs fois avant de trouver le trajet idéal — évidemment, lors de mon dernier parcours — ce qui m’a permis de profiter de la campagne et des ambiances nocturnes sur les divers voyages d’aller et retour que j’ai pu faire. Le dimanche matin, entre le soleil, un reste de brume et des végétaux bien engivrés, l’atmosphère était assez agréable — plus que la veille où la neige tombait à gros flocons gras et humides. Typiquement, les bus m’ont esquivé avec une maestria digne de tous les éloges.

Quelques fotos ici pour donner un échantillonnage de mon séjour. Je vais peut-être reprendre l’habitude d’aller y traîner, ça m’a sorti de chez moi et changé les idées, ce n’est pas à négliger.





Un grandiose et inutile dérangement de matière et d’énergie

28 01 2010

King Aroo de Jack Kent

J’ai bouclé ma valise (mon sac, si vous tenez à pinailler), j’ai mes billets de train, j’ai refait la charge de mon portable (enfin, je risque de lui trouver un emploi), de mon iPod (pour le trajet aller-retour, essentiellement) et de mon appareil photo (je ne sais pas si je vais beaucoup l’utiliser). J’ai pris mes stylos, mes cartes de visite et mon livre d’or (au cas où).

Bref, je suis prêt à partir demain pour Angoulême.

Et en même temps, ça me déprime profondément. Je commence à soupçonner que l’âge me rend lentement agoraphobe. Chaque fois que je dois partir quelque part, je flippe. Rien d’intense, mais assez pour passer une semaine pénible avant le voyage proprement dit. Sur place, je serai sans doute plus détendu et plus heureux d’être là, mais pour l’heure, en plus de considérations moroses de toutes sortes, une question me taraude: qu’est-ce que je vais aller foutre trois jours à Angoulême? C’est une excellente question et je me remercie de me l’être posée. La réponse n’est pas aussi évidente. Bon, je vais voir du monde, ce qui me fera du bien; je vais peut-être admirer de jolies expos, ce qui n’est jamais désagréable; je vais me changer les idées et m’aérer la tête, ce qui n’est pas du luxe.

Encouragement supplémentaire: ce week-end est celui de la Folle journée de Nantes, consacrée cette année à Chopin. France-Musique suit l’événement par une programmation sur trois jours (le terme de Folle journée n’est plus strictement exact; ça dure une bonne partie de la semaine, à peu près comme le festival d’Angoulême). Trois jours de Chopin: au secours! Il devient salutaire que j’aille visiter les Charentes.

Mais quand même, j’ai cette vieille angoisse qui me serre la gorge et me répète que, finalement, je ferais mieux de terminer mes relectures de traductions et de ranger le capharnaüm qui règne chez moi. Le pire, c’est qu’elle n’a pas tout à fait tort.

Tant pis. On verra bien. La situation est désormais trop avancée, plus question de reculer. Demain, je serai à Angoulême. Et après-demain samedi 30, à 18h30, au Théâtre municipal, je serai l’un des participants au débat « Les gays dans les comics ». À la cadence où les pressentis se défaussent, je risque même d’être un des rares.

Je vais me prendre un gros pull-over, quand même…





Remember, remember, the fifth of November…

5 11 2009

Guido

Il faut vraiment que je lève le pied sur les titres en anglais. Mais c’est pas ma faute, ils s’imposent d’eux-mêmes.

Aujourd’hui, c’est en Grande-Bretagne — ou peut-être juste en Angleterre — que se célèbre traditionnellement la nuit de Guy Fawkes, l’un de ces conspirateurs (catholiques) qui avaient prévu en 1605 de faire sauter les chambres du Parlement et échouèrent assez piteusement, trahis par l’un des leurs. En commémoration, la coutume voulait que les petits Anglais sortent dans les rues en chantant une comptine:

Remember, remember the Fifth of November,
The Gunpowder Treason and Plot,
I know of no reason
Why the Gunpowder Treason
Should ever be forgot.
Guy Fawkes, Guy Fawkes, t’was his intent
To blow up the King and Parli’ment.
Three-score barrels of powder below
To prove old England’s overthrow;
By God’s mercy he was catch’d
With a dark lantern and burning match.
Holloa boys, holloa boys, let the bells ring.
Holloa boys, holloa boys, God save the King!

Ce faisant, ils traînaient de maison en maison un mannequin de paille et quémandaient de l’argent pour le Guy, pour finir par placer leur pantin sur un gigantesque bûcher, qui flambait joyeusement dans la nuit. Détrôné par Hallowe’en, fête plus commerciale, et donc soutenue par les marchands divers, le Guy Fawkes’ Night, ou Bonfire Night ne fait guère prospérer que les vendeurs de produits considérés comme dangereux, comme les allumettes et les pétards. Mauvaise carte de visite, de nos jours.

Il est curieux de remarquer combien cette fête s’inscrit en droite ligne dans toutes ces fêtes païennes (Hallowe’en, Samhain) qui tournent à la même période autour d’un grand bûcher et de l’exorcisme d’une crainte. Ici, pas de revenants, mais de nuisibles conspirateurs. On peut se demander si c’est la date qui a suggéré les modalités de la fête, ou si la date a été choisie en fonction d’un environnement favorable à des célébrations. Probablement la première hypothèse.

Bref, la fête de Guy Fawkes s’est logée de façon parfaite dans un créneau propice, qui lui a permis de se prolonger jusqu’à assez récemment: dans sa nouvelle « Candyman« , qui a inspiré plusieurs films, il me semble bien que Clive Barker évoquait la coutume, et on était encore dans les années 80. Elle a commencé à sérieusement dépérir dans les années 90, sous les coups de boutoir de Hallowe’en. De nos jours, la coutume n’est plus observée que dans quelques rares coins du pays (Chris Fowler parle de Lewes où existent encore plusieurs sociétés du bûcher et des célébrations assez enthousiastes). Ni l’excellente bédé V for Vendetta d’Alan Moore et David Lloyd, ni le plus visible (mais pas forcément réussi) film de James McTeigue n’ont ravivé assez le souvenir de Guy Fawkes pour relancer la coutume.

Curieusement, je n’ai pas en mémoire de célébrations de ce genre en France. Les feux chez nous sont réservés à la Saint-Jean. La Toussaint, le Jour des morts et les autres jours de cette période, ont été dédiés par l’église catholique au deuil, au souvenir des morts, à la mortification: habile détournement, assez proche des coutumes païennes — qui voyaient en ce jour une perméabilité entre le royaume des vivants et celui des morts — pour se greffer dessus sans risque de rejet trop violent. Et ça permet de supprimer une occasion de fête, parce que l’église catholique, soyons francs, a une vision assez peu débridée de la joie, en particulier de la joie publique.

Dommage: avec la pluie qui tombe enfin, une petite fête joyeuse ne serait pas de trop, ces jours-ci.





Name of a dog!

31 10 2009

grandville

Un citoyen de la paisible et très britannique bourgade de Nutwood a été retrouvé baignant dans son sang. La pièce était fermée de l’intérieur, aucun signe de lutte. c’est clairement un suicide. Une belle théorie que l’inspecteur LeBrock de Scotland Yard démonte en dix secondes. Pour lui, Leigh-Otter a été abattu par des agents des mythiques Services secrets impériaux français. Leigh-Otter avait rendez-vous le matin même avec le premier ministre britannique, il était la veille encore à Paris, la Ville-Lumière, Grandville comme on l’appelle, la capitale du tout-puissant empire français. Qu’a-t-il découvert là-bas? LeBrock et son adjoint Ratzi prennent le train pour Grandville afin d’en avoir le cœur net.

albumL’album précédent de Bryan Talbot était le formidable Alice in Sunderland, un somptueux délire de styles et de sujets tournant autour des relations, diverses et plus étroites qu’il ne semblerait, qu’entretenaient Lewis Carroll et la ville de Sunderland, au nord-est de l’Angleterre. Grandville est une nouvelle collision de genres et de citations, pour un résultat épatant et ébouriffant. Polar situé dans un monde steampunk d’animaux humanoïdes, sur une intrigue policière dont les ressorts ne sont pas si éloignés de notre monde, avec des clins d’œil visuels saupoudrés en bonus (une affiche vantant le spectacle d’Omaha la danseuse, une partie de cartes avec des chiens…), Grandville est une histoire d’action qui se fonde sur les anticipations de Robida et les dessins de Grandville, où l’on retrouve le goût de Talbot pour les architectures grandioses, réelles et imaginaires. Aux allusions visuelles répondent des trouvailles dans les noms et des jeux de mots assez discrets dans les dialogues (très british, mais censés être français, comme on le découvre vite).

page

Si l’action et l’aventure spectaculaire prédominent, il ne manque pas non plus de clins d’œil plus doux-amers et poétiques, comme cette race animale originaire de la petite ville d’Angoulême ou l’interrogatoire d’une épave dans une fumerie d’opium. L’intrigue tient en haleine à la première lecture, mais un deuxième passage ne sera pas de trop pour se délecter des détails semés avec un art consommé par Bryan Talbot, qui continue à être hanté par le concept de la révolution.

Est-ce bien là une attitude très britannique, je vous le demande?

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• Dans un registre également très britannique et rétro, je recommande chaudement la très brève série télé The Mrs Bradley Mysteries, où Diana Rigg en divorcée non conformiste et freudienne circulant en Rolls pilotée par un chauffeur impeccable, résout des crimes dans l’Angleterre des années 1930. Outre le charme de l’actrice principale, toujours pétillante, et le caractère assez excentrique des affaires, on croise nombre de têtes connues, comme Peter Davison (le cinquième Docteur) et David Tennant (le dixième Docteur), ou un tout jeune Russell Tovey (Being Human), entre autres. Dommage vraiment que cette savoureuse co-production entre la BBC et une chaîne étasunienne se soit arrêtée au cinquième épisode.





Ré-Animation

31 10 2009

Allez, comme décidément Hallowe’en a fini d’être célébré en France, après la tentative ratée d’acclimatation des années 1990 et malgré les soubresauts lancinants des aficionados du culte de St-Jackson, qui nous tressautent Thriller à la moindre occasion, manifestons un peu notre esprit de contradiction en  postant trois génériques de vilaines séries télé traficotées pour s’insérer dans le thème macabre de la journée.